Le Mouton noir
Ils coulaient tous des jours tranquilles et, de père en fils, depuis des siècles, ils partageaient les mêmes pâturages, fredonnaient les mêmes chansons et répètaient machinalement les mêmes gestes de leurs ancêtres ; leurs chiens qui gardaient les troupeaux aussi…
S’il
arrivait à une brebis de s’écarter du troupeau un peu trop au goût du
chien, il se faisait un plaisir vicieux de l’y ramener, grognant et
menaçant d’une façon telle comme si elle avait commis le plus vil crime
ou comme si la grandeur de l’os qu’il allait recevoir en récompense de
son maître dépendait de la longueur de ses aboiements...
Dès qu’un
agneau, avec l’ignorance de l’âge, dépassait de peu le pâturage où il
devait se tenir, convoitant une touffe d’herbes qui lui paraissait plus
appétissante chez le voisin, il se faisait rabrouer l’oreille par un
galet savamment catapulté à la fronde par le berger. Sursautant et
tremblant comme une feuille, il revenait apeuré se blottir contre sa
mère…
Et si d’aventure un mouton à la lisière d’un près faisait les
doux yeux à une brebis du troupeau voisin, il subissait la même brimade
par la fronde du maître et les crocs du chien…
Mais notre brave
berger était tout différent des autres qui le traitaient d’ailleurs de
philosophe ; il n’aspirait pas tellement à cette vie tranquille et
bien qu’il la menait pareille qu’eux, parce qu’il était aussi peu
érudit, il ne pouvait s’empêcher de s’inventer des rêves, des histoires
ou des poèmes qu’il chantait sur un air différent.
Un jour de grand
malheur deux de ses brebis mirent bas de deux agneaux noirs, une femelle
et un mâle. Tous les bergers étaient transis de peur, inquiets et en
colère ; ils le sommèrent de les balancer de haut d’une falaise le plus
loin possible de la frontière de leurs pâturages, prétendant qu’ ils
allaient amener la poisse et l’infortune dans leur paisible petit monde,
surenchérissant même que les loups et les hyènes refuseraient de manger
leur maudite chaire.
Pressé par ses voisins le berger ne pouvait
qu’abdiquer, il prit les agneaux chacun sur une épaules et demanda à
un de ces voisin, le seul qu’il trouvait un rien accommodant, de prendre
soin de ses moutons blancs, lui confiant qu’ils seraient à lui s’il lui
arrivait malheur. Il lui demanda aussi quelques pièces d’or en
contrepartie, expliquant qu’il avait besoin d’un peu d’argent car il
comptait consulter un guérisseur dont il eut vent de l’autre côté du
bled. Ce guérisseur faisait des miracles mais monnayait cher ses offices
; il espérait qu’il redonne à ses agneaux une couleur blanche car il
n’avait pas le cœur de les tuer. Il partit ensuite au loin…
Une fois
dans ce hameau qui avait l’air un peu plus civilisé, il se rendit chez
le guérisseur puis ressortit de chez lui aussi vite qu’il n’a fallu pour
qu’il soit dépouillé de la moitié de sa fortune et sans garantie de
succès aucune sur l’intervention de ce charlatan qui n’avait fait que
blanchir à la chaux les deux agneaux ; conseillant au berger de rester
quelques mois éloigné des siens en attendant la sincérité du résultat.
N’ayant
plus de troupeau, il n’avait plus ni lait ni fromage pour se nourrir.
Il acheta alors quelques poules pondeuses, des plantes potagères, des
semences et des victuailles de quoi survivre quelques mois, comptant
aussi sur la générosité de la nature pour se trouver des racines, glands
ou fruits secs comestibles.
Il va sans dire, au grand désespoir de
notre berger, que la laine noire s’est mise à repousser et celle
blanche à reprendre sa teinte d’origine ; et, s’obstinant à garder ses
moutons noirs, il ne pouvait pas revenir parmi les siens.
Survivant
tant bien que mal, sentant aussi l’hiver s’approcher, il tondit ses
agneaux, fila leur laine et confectionna un poncho.
Les nuits
devenaient fraîches, et notre berger constata d’emblée que la laine
noire le tenait mieux au chaud. Pour affronter les affres de l’hiver, il
songea à se construire une cabane et un silo pour entreposer de l’herbe
séchée en réserve pour ses agneaux.
Ses graines avaient poussé, il
en avait obtenu des autres de quoi se nourrir une bonne partie de
l’hiver. Il redescendit néanmoins dans le hameau se procurer quelques
réserves supplémentaires avec ce qui lui restait de métal.
Dans le
souk, un homme se promenant sur son cheval, l’allure élégante et
distinguée, l’aperçut. Intrigué par le poncho qui faisait tâche dans la
marée blanche des badauds et par la beauté et la pureté de sa couleur
noire inhabituelle, le chevalier lui demanda où il l’avait acheté. Il
répondit : quelque part où votre cheval ne pourra pas vous conduire…
Veux-tu me le vendre rétorqua l’homme, je te double ton prix d’achat !
Même si je vous disais qu’il m’a coûté dix pièces d’or, enchérit le berger !
Ton prix est le mien enchaîna l’homme, tendant vingt pièces d’or.
Le berger garantit à son client son achat en ajoutant : vous ne verrez jamais ternir cette couleur. L’homme lui dit :
Si
tu devais te retrouver sur mon chemin un autre jour, amène moi des
habits de cette couleur, je suis acheteur. Je viens ici le dernier
vendredi de chaque mois, celui que je ne consacre pas à Dieu, il me
pardonnera…
Fortuné, il acheta pulls, ponchos et couvertures
blanches pour une bouchée de pain puis regagna sa montagne caresser et
embrasser ses agneaux en leur chuchotant aux oreilles :
« Vous ne seriez pas en âge de vous aimer vous deux ? Je me réjouis de voir vos rejetons»…
Il
leur caressa encore dos et ventres et s’étonna de voir les pis de sa
brebis turgescents et la trouva plus câline…Il comprit qu’elle était
pleine et pleura de joie.
Dans le souk, sans se douter que sa brebis
était pleine, il avait acheté des couvertures pour protéger ses agneaux
du froid, car il comptait leur raser ce qu’il leur restait de laine.
Il prit le mâle, le tondit le plus ras qu’il pouvait en s’excusant de
lui se limitant à tondre la femelle superficiellement. Il fendit quatre
trous dans deux couvertures, passa leurs pattes et les rabattit sur
leurs dos en les nouant.
Il fila la laine, prit des fines branches en
guise d’aiguilles et tricota plusieurs vêtements. Il redescendit quatre
semaines plus tard à la rencontre de l’homme civilisé, lui vendit cinq
pulls contre cent pièces d’or et s’excusa auprès de lui en disant :
Je
ne saurais plus venir à votre rencontre avant quelques mois, l’hiver il
m’est pénible de venir ici de là où je suis, mais je vous promets une
surprise pour la prochaine fois…
Des mois passèrent, et début
février, la brebis mit bas de deux agneaux, une femelle et un mâle qui
avait la couleur d’une nuit de janvier. Fin mars, ils ressemblaient à
deux gros flocons de neige noire aussi soyeux que le duvet d’une chèvre
Pashminas. Ils eurent droit à leur première tonte printanière, avant que
leur laine ne soit truffée d’épines et de plaque- madame.
Le berger
confectionna un béret et une écharpe avec la fine laine des jeunes
agneaux et quelques autres habits avec celle des parents. Il descendit
retrouver le seigneur fidèle à son rendez-vous du quatrième vendredi du
mois. Il l’aperçut de loin et aperçut surtout son visage inquiet qui
cherchait désespérément dans la foule.
Soudain, le visage du
chevalier s’est éclairci d’un large sourire quand il aperçut le berger
le héler avec un pull noir. Ils s’embrassèrent et échangèrent pièces
d’or et habits. Le berger sortit d’un sac à dos l’écharpe et le béret,
coiffa tête et cou du seigneur avec en disant :
« C’est un cadeau pour mon ami »
Enrichi, le berger acheta le plus bel étalon du lieu et, regagnant sa montagne, le drapa de la plus belle soie qu’il trouva.
Il
redescendit plus tard accompagné de ses quatre moutons noirs rendre
visite à ses anciens voisins des pâturages, il avait l’assurance d’un
roi.
À leur rencontre, il les voyait reculer devant l’approche de ses
moutons et se rendit compte qu’ils ne menaient pas large ; leurs
troupeaux, massacrés par les loups, avaient fondu de plus belle ; ils
peinaient à survivre et faisaient pitié.
Il ne prononça qu’une phrase à leur intention :
« Les deux moutons dont vous vouliez la mort ne m’ont pas apporté la poisse comme vous prétendiez ».
D’un
coup, et intéressés uniquement par la fortune que le berger avait
édifiée grâce à ses moutons noirs, ils oublièrent leurs superstitions et
demandèrent à accoupler leurs brebis blanches avec ses moutons noirs.
Ils eurent des agneaux gris, mais ce n’était qu’un début….
Tanagra.be
Abou Hany
Introduction
J’ai
longtemps regardé l’humanité d’une façon arbitraire ; je caricature en
disant que j’avais tendance à penser qu’elle était partagée en trois
espèces.
La première, celle qui rencontrait mon estime
inconditionnelle, je la considérais comme étant le moteur de l’humanité
et ses sujets étaient les moins nombreux.
La deuxième réunissait
une grande moitié des squatteurs de la terre, ceux-là m’indifféraient
parce qu’ils se comportent comme si l’humanité n’existait qu’à travers
eux.
Puis il y a cette troisième espèce, presque l’autre moitié,
dont les sujets me souciaient encore moins, car je me demandais si leur
présence sur cette planète affectait d’une quelconque façon l’humanité.
Actuellement,
ma vision générale n’a pas tellement changé, l’humanité garde à mes
yeux le même cliché ; à cette différence que ma rétine, bien qu’elle
reçoit la même image, elle la perçoit autrement.
Ma considération
pour la première espèce est désormais plutôt mitigée, toutefois elle
reste en partie d’actualité. Quant à la deuxième, je me refuse toujours
et obstinément à la côtoyer ou à la considérer. Elle m’indiffère
toujours autant car elle se considère elle-même comme une race à part et
se retranche dans l’individualisme total et obscène.
Enfin cette
troisième espèce qui réunit les individus les plus effacés et les plus
insignifiants. Ceux-là mêmes qui, jadis, semblaient à mes yeux n’être
qu’un fardeau pour l’humanité. Aujourd’hui, il me semble qu’ils sont
plutôt ceux qui contribuent le plus à son essor. Certes d’une façon plus
infinitésimale, moins exhibitionniste et tangible pour chacun pris
séparément, mais vu leur nombre l’impact de leur contribution cumulée
est à mon avis un des plus considérables.
A Grand-père que je n’ai pas connu
Tanagra.be
Le serpent à sornettes
Non ! Je ne vous raconte pas des balivernes, l’histoire de mon serpent il n’y a pas de plus authentique.Ce sympathique serpent, je ne l'ai ni vu ni croisé. Il vit dans la région des Tsingy de Bemaraha à Madagascar et son histoire m’a été contée par un aussi sympathique guide touristique qui m’a avoué, alors qu’il travaillait depuis cinq ans dans cette région aussi extraordinaire qu’irréelle, qu’il n’en avait jamais vu un lui-même non plus !
À mes yeux ce serpent recèle une part grandiose d’attributs telle l’idiotie, la cupidité et l’égoïsme… que seule une autre espèce animale peut les lui rivaliser : l’Humain... À cette différence que le comportement de ce dernier est délibéré alors que celui du serpent se trouve probablement inscrit dans ses gènes.
L’histoire
me fait curieusement rappeler celle d’une de mes patientes qui est
morte emportée par ce qu’on a baptisé « les dégâts collatéraux »
quelques mois après la fin de la première guerre du Golfe. Ce qui est
triste, c’est qu’elle ne savait pas où se trouve l’Irak et qu’elle
n’avait entendu parler de Saddam que par la bouche de Bush père pour la
première fois.
Son spécialiste ignorait également la cause qui
l’avait précipitée dans un infarctus aussi foudroyant à quarante-cinq
ans alors qu’il jugeait son état stable tant sur le plan diabétologie
que cardiologie quelques mois auparavant. Je l’ai évidemment éclairé,
post mortem, sur le sujet.
Elle était bien rondelette déjà, et
le spectre d’une guerre longue, pénible et de destruction massive telle
annoncée par le père Bush, l’avais poussé comme bien d’autres à vider
les rayons des grands magasins de tout ce qu’ils pouvaient contenir
comme denrées impérissables, laissant peu de choses à ses voisins
qu’elle avait entraînés dans la frénésie de son élan. Son appartement
ressemblait à ces vitrines des Night-shops pakistanais qui fleurissent
et égayent de leurs couleurs nos villes ces derniers temps. Elle en
était fière et affichait un sentiment de satiété évidente en me disant :
-Je m’en fous, ils peuvent se battre tant qu’ils veulent, j’ai de quoi survivre des années.
Elle
surenchérissait disant que le Colruyt, son magasin préféré, n’a jamais
été aussi lugubre, car ses rayons, habituellement sombres, étaient vides
de marchandises et le licenciement du personnel pour chômage
conjoncturel dû à la pénurie de marchandises et stocks ne faisait que
renforcer cette atmosphère.
Je ne pouvais qu’abonder dans
son sens, et sans qu’elle ne me comprenne, je l'assurai qu’avec ses
provisions elle avait de quoi se prémunir d’une famine telle seule la
disette des guerres médiques et puniques réunies pouvait engendrer.
J’avais
donc eu ce privilège de connaitre, avant même d’entendre parler de ces
dégâts collatéraux légitimés ultérieurement, deux variantes de dégâts
singulières dans leur genre et causalité qu’une guerre pouvait entrainer
: celle de la mort à la guerre sans être proche d’un champ de bataille
et celle du chômage d’avoir trop vendu. Je les appellerai désormais :
dégâts collatéraux non contigus, je veux dire à distance.
J’étais
fasciné par cette histoire de serpent de notre guide qui nous montrait
et nous expliquait le pourquoi de ces innombrables trous dans le sol
malgache qu’on rencontre dans cette région des Tsingy, trous où on ne
voit moindre âme y pénétrer ou en sortir. Auparavant, sur le trajet, il
nous a raconté une autres anecdote pendant que nous faufilions
péniblement dans les massifs rocailleux tellement les roches étaient
parfois serrées.
Il parait que quelques années avant, quand les
malgaches avaient balisé le premier circuit touristique dans cette
région étanche et impénétrable, ils avaient pris soins de ne pas trop
défigurer le paysage par des coups de marteaux piqueurs abusifs,
préservant ainsi la beauté et la pureté de ces reliefs karstiques
dressés comme des infinies lames de sabres vers le ciel. Ils se sont
contentés de creuser quelques passages quand les massifs incontournables
l’exigeaient, en s’arrêtant de casser la roche quand les ouvriers,
maigre en général, surtout dans cette région affamée et pauvre faut-il
l’avouer, parvenaient à s’y glisser.
Le jour de l’inauguration,
le Président malgache de l’époque avait convié les Ambassadeurs
américain et français à la fête parceque la France et les USA avaient
aidé et subsidié les malgaches dans ce projet. Malheureusement la
cérémonie fut écourtée et les festivités, prévues au bout de
l’excursion, ont dû être déménagées dans la hâte. Car, si l’Ambassadeur
français avait pu traverser quelques passages dans ce corail aérien sans
se déchiqueter sa cravate, ni l’Ambassadeur américain ni le Président
malgache n’ont su faire autant. Pire encore, ceux-là, à peine avaient
ils progressés d’une trentaine de mètres dans le défilé, qu’ils se sont
trouvés piégés dans une courette entre les roches. Le couloir de sortie
était exigu pour leur permettre de continuer et celui de l'entrée ne
leur permettait pas de rebrousser chemin ; car si la configuration des
roches avait permis de se glisser dans un sens elle ne le permettait
pas nécessairement dans l’autre. Un peu comme une tête de fœtus qui
traverse le défilé pelvien d’une parturiente, elle le fait plus ou moins
à l’aise dans la descente, mais vouloir la repousser par où elle est
sortie serait une autre paire de manches …
L’aventure s’est
terminée par un repêchage héliporté et les malgaches ont dû revoir leurs
pistes en les adaptant aux calibres des occidentaux ; rare sont les
malgaches qui peuvent se payer le luxe de pareille excursion et s’ils le
pouvaient ils auraient enduré la même mésaventure que leur président.
Mais notre serpent qu’a-t-il à voir là-dedans ?
Notre
guide racontait que ce dernier, quand il est jeune et gracile,
colonisait les termitières croulées et désertées par ses habitants
habituels. Étant paresseux et frileux, il passe les deux mois qui sont
cléments à son goût à massacrer toute sorte d’animal et de rongeur que
sa taille lui permet de s’y mesurer. Il les traîne et les stocke, comme
un écureuil fait avec ses noisettes, dans la gigantesque cavité de la
termitière. Peur de manquer, il amène vers son abri quantité démesurée
de nourriture comme s’il allait y séjourner un siècle. Il n’hiberne pas,
mais aime rester au chaud. Il passe ainsi l’année sans bouger dans son
trou à se goinfrer.
Quand la belle saison est de retour il ne
parvient plus à s’extirper de sa tombe tellement il avait grossi ; ce
qui fait de lui une proie facile pour les aigles, les hyènes et les
renards qui raffolent de sa chair tendre qui n’a pas enduré le moindre
exercice. Ces prédateurs viennent chaparder son trou pour l’en extirper
et sa délivrance se fait dans leurs boyaux.
Devant ce récit,
j’ai demandé à mon guide si le serpent était autochtone ou importé
d’Amérique. Il m'expliquait qu’il était malgache, puis, pris d’un
fou-rire quand il avait saisi l’allusion au pléthoriques Ambassadeur
américain et Président malgache, il faillit basculer dans le vide.
Ce
serpent passe ainsi une bonne partie de sa vie enfoui et coincé dans la
pourriture des cadavres qu’il avait entassés dans son trou. Et ma
patiente, quant à elle, elle était prisonnière de ses murs de paquets de
biscuits sec, de conserves de confitures, d’haricot, de petit pois, des
paquets de pâtes, de riz de sel et du sucre…Ils n’étaient pas pourris,
mais leurs dates de péremption étaient à peine plus longue que la guerre
du golfe. Elle mangea en un mois ce qui suffit à un bataillon pendant
un an. Son diabète a foiré, ses coronaires se sont enflammés et bouchés
et son infarctus lui avait creusé un trou dans le cœur plus grand que
celui de mon serpent.
Elle est morte rassasiée, c’est un
réconfort, mais quand elle m’avait rappelé précipitamment avant son
hospitalisation, elle m’a avoué qu’elle n’était pas sage et qu’elle
n’avait plus respecté son régime. J’avais essayé de la raisonner,
c’était peine perdue, elle me disait qu’elle n’allait pas tout de même
laisser périr ses stocks, injuriant au passage les américains en les
traitants de menteurs et de me dire : « Ils avaient pourtant dit que
Saddam avait une armée invincible ».
Je ne pouvais pas ne pas
songer à la peine qu’avait endurée le croque-mort pour la contenir dans
le cercueil, mais vous avez bien compris, c’est la faute aux Américains…
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La pomme d'Emile
Emile, un copain de faculté de médecine de Liège m’a raconté :
- Votre passeport s’il-vous-plaît.
- Ah! Vous vous appelez Emile! C’est comme moi?
Emile de Baalbek s’apprêtait ainsi à étreindre son homonyme de Zaventem, le douanier, parce qu’il portait le même nom. Ce dernier tenait dans ses mains la gigantesque pomme que le premier avait emportée dans sa valise ; pomme qui avait la dimension d’un ballon de football.
- Faites attention à ma pomme, Monsieur, elle a remporté le concours de la plus grande pomme de Baalbek. Mon père, qui l’a soignée sur sa branche, en est l’homme le plus fier!
Je suis son aîné, cela étant, il a dit qu’il me revient de droit de la manger. Je compte partager ce plaisir avec ma fiancée Amélie. Elle est en vacances en Allemagne et sera de retour dans quelques jours à Liège, où j’étudie. Il ne faut pas que ma pomme se griffe ou qu’elle tombe, elle pourrira avant que je ne revoie ma fiancée…
- De Baalbek, dites-vous, hum ?!
Si pour le premier Baalbek* était une référence recommandable car elle est, d’après ses cours de géographie, la ville la plus captivante au monde de par ses temples romains de la cité du soleil, pour le second ce nom ne pouvait que le faire loucher vers Bogota en Colombie.
Emile
de Zaventem saisit son trousseau de clés, en détacha le canif, posa
la pomme sur la table et la coupa non sans difficulté en quatre
quartiers devant les yeux incrédules d’Emile le libanais. Il l’inspecta,
enfonça son canif par ci par là, la huma et coupa un petit zeste pour
le déguster. Il prit ensuite son rouleau d’adhésif brun pour carton et
d’un stoïcisme de circonstance, néanmoins trahi par un sourire narquois
et furtif, il rassembla, ajusta et enturbanna d’une délicatesse
outrancière les quatre quartiers en disant :
- Voici mon ami, c’était bien une pomme, elle est très bonne. Bon séjour chez nous !
*Baalbek = Héliopolis = Capitale de la drogue au Liban.
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